Mois de l’histoire des femmes

Lorsqu’on m’a demandé d’écrire cet article pour le Mois de l’histoire des femmes, j’ai songé à l’écrire uniquement du point de vue d’une femme, ce qui est ma réalité indéniable. Or, comment puis-je écrire uniquement de ce point de vue, alors que je suis aussi une FEMME NOIRE, et que c’est là aussi un fait indéniable? Ma propre intersectionnalité personnelle s’interprète comme les personnages de Rosencrantz et Guildenstern, de la pièce de théâtre Hamlet de Shakespeare, les deux côtés d’une même médaille dans la littérature, comme ma dualité, inséparables et interchangeables.

Au moment où je m’assois pour écrire, je reconnais devant vous mon sexe et mon équité, les deux faces de qui je suis. Chaque jour, tous les jours, je vis avec les obstacles et les défis du sexisme et du racisme, car c’est là aussi mon intersectionnalité; être noire et être une femme : voilà mes deux identités. Je ne peux jamais arrêter de penser au racisme : ce n’est pas un choix, c’est ma réalité.

J’ai été préoccupée par des pensées d’injustices, exacerbées après la mort de Régis Korchinski‑Paquet, de Breonna Taylor et, bien sûr – qui pourrait l’oublier – le meurtre brutal et inhumain de George Floyd. J’ai regardé (comme nous l’avons toutes et tous fait), avec horreur alors qu’il haletait et demandait grâce : huit minutes et 46 secondes de « téléréalité » qui pourrait facilement être ma propre réalité.

Cette année, le thème du Mois de l’histoire des femmes est #GrâceàVous. J’y réfléchis et je me demande comment cela se traduit dans ma vie, non seulement en tant que femme, mais aussi en tant que femme noire. Selon le ministère de Femmes et Égalité des genres Canada (FEGC), le thème de cette année s’inspire de celles qui, ici au Canada et dans le monde, travaillent à faire progresser l’égalité entre les sexes et les genres dans leur communauté. D’une manière ou d’une autre, cela ne me concerne pas et ne semble pas inclure mes expériences vécues, pas de la manière dont je pense que c’est prévu. Je travaille au sein de ma communauté, de mon syndicat, essayant toujours d’apporter le prisme de mon équité en tant que femme et de l’utiliser tout en étant confrontée à l’équité de ma race. La plupart du temps, je sens que je laisse tomber ma communauté, que je n’en fais pas assez. Le racisme contre les Noirs m’a piégée dans une réalité qui englobe diverses facettes :

#GrâceàVous je suis craintive

#GrâceàVous je me sens muselée

#GrâceàVous je me sens impuissante

#GrâceàVous je me sens nulle

#GrâceàVous c’est dangereux de défendre mes droits

#GrâceàVous je me sens laissée de côté

#GrâceàVous je suis invisible

#GrâceàVous je suis hyper-vigilante

#GrâceàVous je suis en colère et blessée

Dans ce climat d’agitation raciale, de nombreuses femmes, mères, éducatrices, luttent contre les effets de la fatigue émotionnelle, doivent affronter le nouveau et revivre l’ancien, alors que l’on tente de s’y retrouver dans le paysage de celles et ceux qui sont désormais « éveillé.e.s » et qui exigent un changement.

Il est difficile de faire en sorte que les personnes privilégiées s’intéressent, se sentent concernées une fois les manifestant.e.s dispersé.e.s, les coalitions dissoutes, que les mots-clics ne sont plus à la mode sur Twitter et que les pages de médias sociaux se sont fermées. Comment les amener à continuer à se sentir mobilisées et à rester investies quand personne ne regarde et que la notoriété a disparu?

À nos yeux de militantes, le terme « espaces sûrs » est évoqué, mais ce sont les personnes privilégiées qui sont en mesure de créer ces espaces sûrs destinés à celles d’entre nous qui luttent pour l’égalité et qui l’exigent. C’est ainsi qu’elles ont le meilleur des deux mondes, pouvant choisir de ranger leurs chaussures de marche, d’accrocher leurs uniformes de militantes et de se cantonner dans leurs propres réalisations. Cette option n’existe tout simplement pas pour la femme noire.

Les personnes privilégiées parmi nous sont capables de se draper dans leur dignité d’alliées, un privilège qui peut être utilisé comme un avantage, ou elles peuvent simplement choisir de s’esquiver. Pour moi, je ne saurais laisser ma couleur noire à la porte, tout autant que je suis incapable de rejeter la nature même de ma féminité. Malgré le conflit inhérent auquel je suis en proie à cause de mon intersectionnalité, cela me permet également de recréer ma propre perception du genre et de la race, mes propres identités de Rosencrantz et Guildenstern.

#GrâceàVous je serai forte

#GrâceàVous je n’abandonnerai pas le combat ou la lutte

#GrâceàVous je serai déterminée

#GrâceàVous je ne tairai pas ma voix

#GrâceàVous je lutterai pour ce qui est juste

Hayley Millington

Représentante nationale de l’équité pour les membres de minorités visibles du SEN