La Journée du souvenir trans

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Vendredi, c’est la Journée du souvenir trans. Une soirée au cours de laquelle nous honorons nos morts et commémorons ceux qui, nous le savons, ont été assassinés simplement parce qu’ils étaient transgenres.

Ils étaient des fils et des filles, des mères et des pères, des grands-parents, des oncles et des tantes… et toute autre combinaison de famille à laquelle vous pouvez penser. Et probablement certaines qui ne vous viennent pas à l’esprit, comme la famille par choix. Et ils étaient des amis.

Or, pour beaucoup d’entre nous, membres de la communauté des transgenres, il ne s’agit pas uniquement de célébrer le souvenir des personnes assassinées. La Journée du souvenir trans revêt une multitude de significations – certes, nous honorons la mémoire de ceux qui ont été assassinés, mais pour moi, c’est également l’occasion de me rappeler tous ces autres frères et sœurs de la communauté des transgenres qui sont morts, peu importe comment – accident, suicide, causes naturelles, Dieu sait quoi! – et de leur rendre hommage. C’est un jour pour nous souvenir de nos amis et des membres de notre famille qui ne sont plus à nos côtés. Pour d’autres, c’est un moyen de mettre en lumière le sectarisme et la haine qui marquent profondément notre vie, et nous vous demandons de nous aider à y mettre fin. Pour d’autres encore, c’est un geste de résistance face à cette intolérance, pour dire, en quelque sorte : « Vous pouvez nous tuer, mais vous ne pouvez jamais nous faire taire! Nous nous tiendrons debout et lutterons contre vous. »

L’année dernière j’étais à Ottawa pour la Journée du souvenir trans et j’ai assisté à la veillée qui était organisée. Je me trouvais à Ottawa pour les négociations à titre de membre de l’équipe de négociation du groupe PA. Incidemment, l’un des éléments au cœur de nos négociations est l’inclusion de l’identité et de l’expression sexuelles dans les dispositions antidiscriminatoires de nos conventions collectives. La nuit était plutôt froide, et la veillée a eu lieu au Monument canadien pour les droits de la personne, rue Elgin. Un lieu sans chaleur, et pourtant approprié, ai-je pensé. En fait, la foule était assez considérable, et l’oratrice a très bien souligné l’événement commémoratif. À un point tel, que, après la veillée, je lui ai demandé si elle pouvait m’envoyer une copie de ce qu’elle avait lu parce que son hommage m’avait extrêmement touchée.

Toutefois, je dois dire que ce qui m’a rendu le plus fière et ce qui m’a le plus honorée a été le soutien de mon équipe de négociation, de mon élément et de l’exécutif national de l’AFPC. Notre présidente nationale, Robyn Benson, a été présente, à mes côtés, pendant toute la veillée – sa présence était à la fois très réconfortante et très gratifiante. De même, le vice-président exécutif national, Chris Aylward, était là, tout comme la vice-présidente régionale exécutive de l’Ontario, Sharon DeSousa, et plusieurs membres du personnel de l’AFPC. Toute l’équipe de négociation du groupe PA était sur place, afin d’offrir un soutien, ainsi que mon président du SEN, Doug Marshall. Pour moi, leur présence affirmait que « la vie des transgenres compte » et que, en tant que syndicat, nous nous préoccupons de tous nos membres, et que moi, et les choses qui m’intéressent, revêtons de l’importance. Je sais que je suis une minorité extrême au sein de l’AFPC, n’ayant rencontré que cinq autres membres transgenres au cours des huit dernières années, et le Syndicat a toujours été bon envers moi, mais ce soir-là, il a vraiment touché juste. Ils se soucient véritablement de nous. Ils ne sont pas indifférents. Et peu importe s’il s’agit d’un seul membre ou de 1 000 membres, le Syndicat sera là pour vous s’il le peut. Merci à vous tous qui êtes venus et avez manifesté votre soutien à mon endroit et à celui des membres de ma communauté. Je ne suis pas sûre de pouvoir exprimer adéquatement ce que cela signifiait pour moi.

Ce soir-là, et à chaque Journée du souvenir trans, c’est l’occasion de me remémorer une amie. Je ne la connaissais pas depuis de nombreuses années, mais je la connaissais mieux que certains membres de ma propre famille. Comme c’est souvent le cas dans notre communauté, nous nous sommes rencontrées en ligne et, avec le temps, en personne. C’était une femme charmante, très pragmatique; nous pouvions parler de presque tout pendant des heures, et cela nous est arrivé fréquemment.

Nous avions un genre de rituel : chaque fois que nous étions dans la même ville au même moment, nous nous retrouvions pour souper, prendre un verre et bavarder toute la soirée. Eh bien, nous trouvions en fait un restaurant, commandions toutes les entrées au menu (sauf ce que nous détestions absolument toutes les deux ou ce à quoi nous étions allergiques) et une ou deux bouteilles (ou plus) de vin, et nous parlions. Je pense que les restaurateurs nous détestaient parce que nous étions là des heures, à monopoliser la table. Nous mangions, buvions et bavardions toute la soirée.

Des semaines pouvaient passer sans que j’aie de ses nouvelles en raison de son travail – et du fait qu’elle n’avait rien révélé à son époux et à sa famille, elle devait parfois prendre ses distances –, mais ce n’était pas inhabituel. Triste, n’est-ce-pas? « S’effacer » et prendre ses distances parce que vous pourriez être démasqué n’a rien d’exceptionnel dans ma communauté. Alors, après qu’elle a dévoilé son secret à son époux, je n’ai plus eu de ses nouvelles pendant un moment. Je n’étais pas inquiète, car elle avait été silencieuse par le passé, et ce n’était donc pas si étrange.

J’ai alors reçu un message en ligne d’une amie mutuelle. Celle-ci connaissait son nom de garçon et avait vu une notice nécrologique à son sujet. Dans son message, elle m’informait qu’elle était morte. Je ne connaissais pas son nom de garçon et, franchement, ça m’était égal parce que, pour moi, elle était toujours « Char »; Charlene, une amie et une sœur par choix. En questionnant notre amie mutuelle, j’ai découvert que Char avait fini par faire ce qu’elle avait toujours dit qu’elle ferait si la douleur devenait trop terrible, et je la cite : « Je préférerais me tirer une balle plutôt que de vivre comme ça ». Apparemment, c’est arrivé, et elle l’a fait.

À l’occasion de la Journée du souvenir trans, il faut se souvenir d’elle et de beaucoup trop d’autres personnes comme elle. Car, tandis que les statistiques à cette occasion se rapportent à des personnes assassinées parce qu’elles étaient transgenres (et, rappelons-le, ce ne sont que les cas confirmés dont nous sommes informés et qui sont signalés), elles sont encore trop nombreuses à mourir parce que la douleur du rejet, les mauvais traitements, le harcèlement, la violence et les mille autres indignités qui accablent quotidiennement les transgenres sont devenus insupportables. D’ailleurs, selon la provenance des statistiques et la façon dont elles sont présentées, les taux de tentatives non réussies et réussies de suicide (wow, quel oxymoron!) au sein de la communauté des transgenres sont absolument stupéfiants. D’aucuns établissent le taux de suicides réussis à plus de 20 %, et celui des tentatives de suicide à plus de 45 %. Toutefois, il est difficile d’obtenir des chiffres exacts à cet égard puisque parfois, vous ne savez jamais ce qui pousse une personne à poser un tel geste. En outre, de nombreuses tentatives infructueuses suscitent une telle honte que les personnes ne veulent pas admettre pourquoi elles ont réellement tenté de se suicider.

C’est triste à dire, mais je ne connais pas personnellement une personne transgenre qui n’a pas de « stratégie de retrait ». Bel euphémisme! Une « stratégie de retrait », aussi bien le dire : un plan de suicide. Il existe toute une gamme de plans de suicide. Quelle image a-t-on d’une société quand un sous-groupe entier de notre population envisage le suicide comme une option quotidienne viable? Un sous-groupe qui fait déjà partie d’une communauté marginalisée.

Je dois le reconnaître : je me demande souvent combien de ces suicides sont, en fait, bel et bien des meurtres – pousser des personnes jusqu’à ce qu’elles craquent et « débarrasser le monde de monstres comme vous ». Oui, on m’a déjà lancé ce genre de remarques, et, selon moi, la plupart des personnes transgenres ont également été visées par de tels commentaires, à un moment ou à un autre.

Donc, à la mémoire de mon amie Char, après la veillée, j’ai amené quelques amis au restaurant, où nous avons commandé un tas d’entrées, pris des boissons et bavardé pendant le reste de la soirée. Je le fais chaque année, à la Journée du souvenir trans, depuis son décès. J’ai trop mangé et trop bu sans aucun doute – dire que j’étais un peu « pompette » est certainement un incroyable euphémisme –, ce que je fais rarement, et je me suis souvenue de mon amie. À sa façon, elle était parmi nous ce soir-là parce que je me souvenais d’elle et que j’en ai parlé un peu à mes amis. Aussi longtemps qu’on se souvient de vous, vous ne mourez jamais vraiment.

En cette journée, il faut donc se souvenir de TOUS ceux dans la communauté qui nous ont quittés, peu importe de quelle façon. Ils méritent de rester dans notre mémoire et d’être célébrés pour la vie qu’ils ont vécue.

Kate Hart est la Représentante nationale de l’équité pour les personnes lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres du SEN