Journée canadienne du multiculturalisme – 27 juin

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Par Amit Deo

Début des années 1980 : Je me trouve aux côtés de mon père dans la pharmacie d’un magasin à grande surface. Nous venons tout juste d’arriver de la salle d’urgence. Dans la voiture, de façon inquiétante, ma mère fait une forte fièvre, en attente d’une ordonnance qui lui permettra d’échapper à un grave danger. D’une voix empreinte de frustration et sur un ton plutôt exigeant, mon père demande au pharmacien qui a commis une erreur dans la préparation de l’ordonnance de ma mère de préparer rapidement un nouveau médicament. L’homme derrière nous dans la file d’attente devient de plus en plus impatient. Pensant que la faute était la nôtre et ignorant l’urgence de la situation, il commence à réprimander mon père.

« Grouille-toi le cul, sale Paki! »

Ce qu’il ne sait pas, c’est que mon père ne recule pas facilement devant la confrontation, même qu’il ne recule jamais. La conversation s’est transportée, comme on dit communément, « à l’extérieur ». Dans le terrain de stationnement, mon père et cet homme s’affrontent verbalement. L’homme fait pleuvoir sur mon père un torrent d’obscénités, ainsi que des insultes habituelles.

« Tu n’as même pas d’affaire ici. Retourne donc dans ton foutu pays! »

À ce moment-là, mon père attend simplement l’occasion de laisser parler ses poings, plutôt que ses lèvres. La tête sortant de la voiture, ma pauvre mère est à peine consciente et sanglote, mais elle trouve l’énergie pour dire à mon père de rentrer dans la voiture.

Le petit garçon de huit ans, que j’étais à l’époque, se tenait sur le bord du trottoir, nerveux, confus et pleurant toutes les larmes de son corps. Naïvement, je me demandais, en mon for intérieur, si le mot « Paki » avait quelque chose à voir avec Pac Man — que j’adorais —, mais, simplement, hors contexte, je me suis dit que ça n’avait probablement rien à voir avec Pac Man.

Nous sommes maintenant en 2014 : Je me trouve, avec des amis, dans un restaurant thaï bondé; l’endroit est rempli de clients de toutes origines ethniques. À la table d’à côté, la serveuse prend les commandes. Les personnes autour de la table sont toutes des membres de minorités ethniques. Elle-même membre d’un groupe racial visible, la serveuse finit de prendre les commandes et part. Les personnes autour de la table commencent alors à se moquer d’elle; ils portent des jugements catégoriques et se montrent sévères à son égard. Ils rient de son accent et de son origine ethnique, n’hésitant pas à faire des suppositions négatives à l’endroit d’une femme qu’ils ne connaissaient même pas quelques minutes plus tôt.

Le premier exemple que je vous ai donné est une expérience plutôt courante que, j’en suis sûr, bon nombre de membres des groupes raciaux visibles ont déjà vécue : le fait d’être critiqué par une personne ne faisant pas partie d’un groupe minoritaire. Ce n’était pas rare, et ça ne l’est toujours pas, en particulier à l’époque et dans les collectivités rurales. Dans mon second exemple, nous sommes en présence de divers groupes minoritaires ethniques, l’un se montrant critique à l’égard de l’autre. Les membres des deux groupes sont tous Canadiens; ils ont vécu — j’en suis persuadé — des difficultés semblables dans notre pays et aspirent à une vie meilleure.

Le Canada a adopté une politique sur le multiculturalisme en 1971; il s’agissait d’une victoire immense pour le mouvement militant pour le droit à l’égalité. Pourtant, comme l’a dit le philosophe américain John Dewey : « Un objectif atteint constitue le point de départ d’un autre. »

Bon nombre d’entre nous s’estiment égaux aux autres, mais choisissent de ne pas considérer les autres comme égaux. Les Canadiens semblent avoir beaucoup de difficulté à définir leur identité nationale, mais, au fond, nous sommes seulement cela : des Canadiens.

Que nous venions de la France, de la Pologne, de l’Inde ou du Japon, au bout du compte, nous sommes venus jusqu’ici pour améliorer notre propre vie, celle de notre famille et de nos générations futures. C’est ce que nous partageons, et nous savons que nous pouvons y parvenir au Canada. Il est difficile de conserver la culture de notre mère patrie, mais cela revêt une importance cruciale. Il est tout aussi important, cependant, d’accepter et d’adopter la culture et l’identité du pays dans lequel nous vivons. Le fait d’être citoyen de ce pays nous donne, de façon égale, des droits, mais il entraîne aussi, de façon égale, des responsabilités.

Le multiculturalisme au Canada, c’est non pas seulement le fait d’accepter d’autres cultures, races et religions, mais aussi d’accepter chacune d’elles comme étant égale à la nôtre. Le multiculturalisme revient non pas simplement à partager notre nourriture et nos traditions avec autrui, mais à lutter ensemble pour le droit à l’égalité. Le Canada n’est pas un pays qui cède à l’intolérance, bien que des injustices continuent de se produire et que de nombreuses personnes choisissent encore de faire semblant de ne pas les voir.

Qu’elle soit subtile ou flagrante, la discrimination est courante. Tous les jours, nous voyons à la une des journaux des pays où des groupes ethniques semblables sont en guerre et se montrent intolérants les uns envers les autres : l’Ukraine, le Soudan, la Corée et la Lybie. En tant que Canadiens provenant de diverses origines, nous devons établir la norme. Nous ne sommes pas mieux que les autres si nous ne pouvons nous accepter les uns les autres.

Nos différences sont ce qui nous rend plus forts.

Notre sens de l’acceptation des autres devrait être le modèle à imiter par d’autres pays.

C’est par l’acceptation et non par le jugement que nous parvenons à l’authenticité. Le multiculturalisme revient à l’égalité.

La diversité continue d’être en plein essor au Canada. Nous sommes sur le point d’être un pays qui traite les autres avec respect et dignité ou un pays où chacun se tient à l’écart des autres, drapé dans ses différences : des enclaves dans lesquelles des groupes ne souhaitent pas communiquer ou interagir avec les autres. Nous devrions plutôt avoir l’impression que nous pouvons être à l’aise à n’importe quel endroit dans notre pays, que ce soit dans le nouveau restaurant de grillades à la mode ou le petit restaurant de nouilles chinois obscur et modeste.

Nous ne devrions pas avoir l’impression d’être jugés uniquement en fonction de notre apparence. Il n’est pas nécessaire d’être d’accord au sujet de tout, mais nous devons accepter et respecter les autres, n’est-ce pas? Eh bien, nous pourrions peut-être en discuter tout simplement autour de quelques dim sum. Qui veut se joindre à moi?

Amit Deo est le remplaçant de la représentante nationale des groupes d’équité pour les membres des groupes raciaux visibles du SEN. Si vous souhaitez accepter son invitation à manger des dim sum, vous devez d’abord vous rendre à Coquitlam, en Colombie-Britannique, où il est également président de la section locale polyvalente 20088.

[Note de rédaction: Il y a de nombreuses écoles de pensée en ce qui concerne l’utilisation de langage vulgaire dans un article. Selon le Canadian Press Stylebook, la vulgarité gratuite n’apporte rien au lecteur. Nous sommes tout à fait d’accord. Toutefois, on précise dans l’ouvrage qu’il y a des exceptions à cette règle et qu’un langage cru peut être essentiel pour amener le lecteur à bien comprendre les faits ou les émotions derrière une histoire. Dans le cas qui nous occupe, nous avons décidé de conserver ce niveau de langue pour brosser un portrait fidèle des attaques fielleuses qu’on réserve aux personnes cherchant à obtenir l’équité.]